L’éclipse Rezvani
Un témoignage émouvant et riche sur l’accompagnement d’une malade atteinte de la maladie d’Alzheimer
Le 11 août 1999 à midi et demi, l’éclipse solaire a fait passer une vaste ombre sur l’Europe…pendant qu’au même moment un ombre absolue et définitive s’installait sur ma vie….
C’est par ces phrases que Serge Rezvani commence le récit qu’il intitule L’éclipse.
Le 11 août 1999, le jour de l’éclipse, le diagnostic tombe : maladie d’Alzheimer. Ce livre est le journal d’une année avec Lula, la femme tant aimée depuis plus de cinquante ans, alors que la maladie l’empêche déjà de lire, d’écrire, de communiquer, rend son comportement incohérent et sa compagnie épuisante. Rezvani a toujours dit qu’il s’en occuperait jusqu’au bout et qu’elle resterait toujours dans leur maison, “La Béate“, dans le Midi. C’est ce qu’il réussit à faire mais à quel prix !
Le désespoir est omniprésent dans ce récit où l’auteur essaie de reconnaître la femme qu’il a tant aimée dans cette malade hors du monde. Parfois quelques brefs accès de lucidité font prendre conscience à Lula de sa maladie, mais la plupart du temps elle ne reconnaît pas son mari, tient des propos insensés et accomplit des actes irrationnels ou dangereux. On sent bien que Rezvani essaie d’exorciser son désespoir en décrivant jour après jour cette cohabitation et en répétant combien il a aimé Lula et combien il l’aime encore.
Il s’en occupera en effet jusqu’au bout puisqu’il fera construire une maison de gardien à “La Béate” pour héberger une aide médicale qui l’aidera dans les derniers mois. Lula décèdera en décembre 2004.
Voici le témoignage émouvant d’un homme déboussolé et dévoré de douleur devant la dégradation inexorable de la femme de sa vie. Il explique très bien ce sentiment étrange d’être face à l’être aimé tout en étant face à une étrangère, face à une morte sans cadavre. Alzheimer en effet dénature la malade, change sa personnalité au point qu’elle en devient méconnaissable. Et les moments de lucidité de Lula ne sont qu’à peine l’occasion de se réjouir car on devine alors la souffrance qu’elle éprouve à se savoir perdue… Une très belle écriture porte ce texte poignant. L’auteur nous fait partager ses doutes, ses colères, ses découragements et aussi son amour-passion.
Un récit écrit pour témoigner mais aussi à titre thérapeutique, parce qu’il devine que l’écriture est peut-être le seul moyen pour lui de ne pas basculer dans la folie.
Devrais-je me taire, ne plus revenir sur la femme tant mythifiée par mes poèmes, mes livres, mes chansons, mes tableaux ? Faire un définitif silence sur elle ? Non ! Qu’elle vive encore en moi, en mes écrits, qu’elle m’occupe même par la douleur. Tout plutôt que le silence d’une tombe où je l’aurais abandonnée vive ! Je ne peux pas renoncer au déchirant plaisir d’écrire encore et encore sur elle, sur la lente et implacable dérive qui peu à peu nous fait nous séparer sans cependant nous perdre complètement de vue ! Me taire sur notre malheur serait rester artificiellement univoque, trop respectueux de moi-même, de nous, d’elle, et donc conservateur d’une œuvre morte. Si j’avais arrêté ma voix disons aux Elégies à Lula, oui sur la crête de mes enchantements, si j’avais fait silence ensuite, ” l’enfer ” vécu par nous maintenant aurait manqué à cet amour, cet amour que la douleur, la folie, et quelque chose comme un lent désamour sont en train de marquer d’une ombre terrible et à la fois d’une lumière rétrospective chaque jour plus sublime et aveuglante.”
Au-delà d’une description très précise et détaillée des progrès inexorables de la maladie d’Alzheimer sur une malade, on trouvera dans ce récit une réflexion utile sur la difficulté d’accompagner un être cher en fin de vie.
On y puisera également un réconfort au constat que l’amour peut toujours aider à se surpasser.
L’éclipse Rezvani Editions Babel